Boule ébouriffée.
Ngọc Thọ
MC 75
Un jour, comme je me regardais dans la glace, une idée m’effleurait dans la tête: il fallait que je change de coiffure. Les cheveux que j’avais ne me plaisaient pas, je pensais à une tête légèrement bouclée qui me paraîtrait plus romantique.
J’étais très heureuse en entrant dans le salon de coiffure, car enfin, je pourrais réaliser mon rêve. La coiffeuse m’a gentiment reçue mais restait assez perplexe quand je lui exposai mon désir. Vu la nature de mes cheveux, ils risqueraient de friser beaucoup plus que sur les autres têtes. J’insistais.
Finalement, elle se plia à ma volonté et consentit à me faire une permanente.
Quand le dernier coup de broche fut terminé, en me regardant dans la glace, je constatai en effet que mes cheveux frisaient un peu plus que ce que j’avais imaginé. Mais tant pis, je considérai que j’étais quand même très proche de cette image romantique dont je rêvais.
Le lendemain matin, au réveil, j’eus le sentiment que j’avais fait une gaffe quand je touchais à mes cheveux; j’avais l’impression que les boucles s’étaient multipliées pendant mon sommeil. Je me précipitai devant la glace et je fus prise de panique
devant l’image d’une petite négresse qui me regardait avec un air de détresse. J’avais les larmes aux yeux tellement j’étais horrible à voir; je ressemblais vraiment à un caniche. Je pensais à mes camarades de classe qui allaient sûrement rigoler en voyant mon nouveau look bizarre et je pleurais déjà à chaudes larmes.
Le cœur gros, je traversais la grande cour du lycée sans regarder personne. Les complexes me pesaient tellement que je devais afficher une mine très agressive. C’était un message qui voulait dire : "Attention : chien méchant, il ne faut pas vous approcher car il est prêt à mordre !!!" En me voyant, mes camarades de classe faisaient mine de ne pas me reconnaître. Ils devaient sentir qu'il y avait de l'électricité dans l'air et que j'étais prête à piquer une crise de nerf à la moindre étincelle.
C’était l’heure de français de Monsieur Tournès. Je cherchais une table au fond de la classe, je fuyais tout le monde. D’habitude j’étais très gaie et passablement dissipée, je faisais rire toute la classe, distrayais ma voisine, m’agitais à droite et à gauche, taquinais les professeurs. Je n'épargnais personne dans la classe. Pourtant, ce jour-là, je me faisais toute petite et voulais me rendre inaperçue. Je souffrais énormément.
Tout à coup, Monsieur Tournès m’aperçut et semblait étonné de me voir si silencieuse. Il s’approchait de moi et en constatant ma nouvelle coiffure, il ne put résister de me dire tout haut sa réflexion : "Mais qu’est-ce que vous avez aujourd'hui, Joséphine ? Vous ressemblez à une boule ébouriffée !"
Toute la classe a dû l'entendre, et tout le monde s'est retourné pour mieux m’observer. C’était le déclic qui déclencha ma crise de nerf. Alors là, trop c’était trop. Il suffisait d’une goutte d’eau et le vase débordait. Toutes mes peines, mes chagrins, mes complexes de caniche à deux pattes qui m’avaient torturée depuis ce matin se libérèrent dans une explosion de honte et de colère. Je m'effondrais sur la table, la tête entre mes deux bras, je commençais à sangloter bruyamment. Monsieur Tournès était très embarrassé, il tentait de s’expliquer, mais je n’entendais plus rien, je continuais à sangloter de plus belle. Le prof ne pouvait plus donner son cours de français, il s'arrêtait par moments et tâchait de me consoler. Le chef de classe était furieux, il grommelait : "C'est pas possible, toutes ces scènes ! Il n'y pas moyen de travailler dans cette classe !" Il pensait au Bac qui arrivait et estimait que je faisais perdre trop de temps à toute la classe.
J’ai pleuré deux heures de suite pendant tout le cours de Monsieur Tournès. A la fin de la classe, le cœur gros, je quittai la cour du lycée sans oser regarder personne…
Je me sentais mieux deux jours plus tard, quand je suis revenue voir la coiffeuse pour me faire défriser les cheveux..
Depuis cet incident, je n’ai jamais plus osé me faire une permanente. Je garde toujours la même coiffure, avec des cheveux raides. Souvent je pense à Monsieur Tournès qui finalement était ma malheureuse victime parce qu'il était venu au mauvais moment pour voir se décharger sur lui toute cette tempête qui fut l'expression de mon désespoir.
Qu’est il devenu, mon cher professeur de français ?
NT