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Trente ans après. Nous souvenons-nous ? 1975-2005.

Kiều Tiên

MC 75

Personne n’avait la tête à passer les examens. Tant de bruits, tant de rumeurs couraient dans les rues, dans la cour, dans les ruelles, entre quatre murs. Les gens cherchaient à partir à tout prix. Les jeunes filles cherchaient un mari américain ou français pour sauver leur famille et/ou elles-mêmes. On échafaudait des plans pour fuir un Saigon fiévreux, bouillonnant, inquiétant. Les nations étrangères négociaient entre elles (les Vietnamiens en subissaient les effets tout simplement). Les citoyens ordinaires ne savaient rien ou presque: quelques bribes d’information par ci, par là. L’ambiance était à la panique. Oui, la panique causée par les rumeurs, c’était le sentiment qui me collait à la peau.


Adieu l’insouciance, l’inconscience, la joie toute simple de vivre. Sous les roquettes, les bombes, nous parcourions des rues encombrées de jeeps, de tanks, de fils de fer barbelés, au milieu des uniformes des militaires. Parfois, des cadavres de Vietcongs jonchaient la chaussée après une attaque avortée. Entre d’incessants enterrements de membres de notre famille victimes de la guerre - militaires ou non - et les visites régulières aux orphelinats, nous avions encore la chance d’aller au cinéma - énormes affiches réalistes peintes à la main -


d'aller au théâtre à l’Institut Français, aux bals de famille organisés par nos amis et connaissances en cercle très restreint, avec garde policière à la porte pour nous assurer la sécurité jusqu’avant l’heure du couvre-feu, c’est-à-dire 22 heures… de faire des ballades à bicyclette, en Honda, Suzuki ou Yamaha. Et puis ces répétitions enthousiastes pour le spectacle préparé en vue de notre dernier Têt (avec des Vietcongs infiltrés dans le milieu estudiantin!) sans oublier non plus les moments inoubliables consacrés à l’élaboration du journal de notre lycée.


Souvenons-nous, mes chères amies, qu’un bruit courait très fort à Saigon à cette époque. Attention, les élèves filles du Lycée Marie-Curie seraient les premières à être violées par les Vietcongs? Ces "sauvages" qui n’avaient pas vu de femmes depuis des "lustres" ! Nous serions désignées comme leurs premières victimes ! Je paniquais. De quoi étais-je coupable ? D’être élève du lycée français ou encore d’être une fille ? Il était vrai que fréquenter le Lycée Marie-Curie était un privilège très convoité. Beaucoup de nos parents s’étaient sacrifiés pour pouvoir nous y envoyer faire nos études. Mais pourquoi moi ? Pourquoi nous ?


Souvenons-nous, mes chers camarades, de ces instruments de musique apportés en classe pour organiser une petite matinée dansante avant la fête de Noël et la fête du Têt : rares moments où nos professeurs se permettaient de danser avec leurs élèves et vice-versa. La grande fête organisée à l’école Saint-Exupéry par Monsieur et Madame Sanchez a laissé une grand souvenir dans ma vie. Les autres petites réceptions privées des professeurs ou instituteurs ont aussi marqué ma vie sentimentale.


Nos professeurs français avaient voulu nous donner à chacun un prénom français pour leur faciliter la tâche dans la prononciation. Faites dire cette phrase- piège à nos amis étrangers : "Cô có cổ cò".


Mademoiselle vous avez un cou de cygne", (un petit clin d’œil à Monsieur Balland, Monsieur Bertaud, Monsieur Tournès), vous verrez combien ils avaient raison d’éviter le piège de la prononciation de noms vietnamiens avec les accents, mais nous étions trop respectueux pour leur rire au nez. Mais au fait, notre rire n’a-t-il pas été légendaire ? Les Vietnamiens, ce peuple qui rit de tout et de rien. C’est très énervant et incommodant (je ne sais pas si c’est le peuple ou le rire qui est énervant !) Je me souviens d'une leçon sur les cent façons de rire des Vietnamiens avec cô Quế Phương : "Người Việt Nam cái gì cũng cười ! Vui cũng cười, buồn cũng cười.." (le Vietnamien rit de tout et de rien, qu’il soit gai ou triste). Cô Duyên, cô Nam m’ont aussi beaucoup sensibilisée sur ce sujet.


Souvenez-vous, chers Professeurs, que nous étions des élèves assez obéissants, avides de connaissance, studieux mais parfois turbulents, malicieux mais toujours soucieux de vous faire plaisir, je salue en passant, avec beaucoup de gratitude, Mesdemoiselles De Clercq et Cullère…. Vous voici parmi nous, pour nous rappeler ensemble ces moments privilégiés partagés avec vous, en langue française, vietnamienne ou autres .


De Saigon, que j’ai laissé avec un grand déchirement un certain 27 avril 1975, il me reste dans la mémoire des images affectueuses des mes camarades, des professeurs passionnants et passionnés qui ont traversé ma vie d’étudiante. Me voilà parmi vous, pour vous dire combien je suis heureuse de vous retrouver aujourd’hui grâce aux membres animateurs de l’AMC.


Mille mercis à toutes et à tous ! 2005 souvenirs aux présents et aux absents de ce gala !


Nhớ Saigon với ngôi trường Marie- Curie yêu dấu, cây phượng vĩ, sân trường đồ sộ, thày cô Pháp Việt, và nhất là tiếng cười nắc nẻ của những "nhất quỷ nhì ma, thứ ba học trò !".



Porto, ngày 7 tháng 11 2005.

Kiều Tiên, ou Marie Jo, ou Thủy Tiên


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